April 07, 2004

LE CINEMA IRANIEN, Hormuz KÉY

Hormuz KÉY est enseignant réalisateur du cinéma à l’Université de Marne la Vallée , il a écrit: Le cinéma iranien : L’image d’une société en bouillonnement ;De la Vache au Goût de la cerise. 1999 chez Karthala. Il a réalisé : Filles d’Iran ; Un chemin secret dans la montagne 2001, Sur les Chemins du Savoir et Jardins du Paradis.

Chapitre d’Euroorient N° - 10-2001 Paris

récit d’une continuité

Cette roue du ciel, nous y tournons sans cesse…
Pense à la lanterne magique
Suppose que le soleil est la lampe et l’univers une lanterne
Alors nous, nous en sommes des images ébahies.*


Le cinéma iranien connaîtrait-il son âge d’or ? cette effervescence va-t-elle continuer encore longtemps ? ce cinéma saura-t-il se renouveler pour éviter la banalité? Quelles que soient les réponses, jamais le cinéma ne fut aussi rayonnant à l’extérieur comme à l’intérieur du pays - encore que le nombre de salles soit tombé de plus de 400 en 1979, l’année de la Révolution, à moins de 300 en 1999 alors que la population avait doublé. De plus, l’investissement massif de l’Etat a favorisé une production annuelle d’environ 50-60 films au cours des années 90. Une telle conjoncture obligeait à recourir à des projections nocturnes ou en plein air, ou encore dans les foyers, par le biais de millions d’équipements vidéo.
Pour récent qu’il paraisse, ce phénomène plonge ses racines au cœur d’une société engagée depuis plus de deux cents ans dans un processus d’identification; en un sens, cette métamorphose du cinéma iranien à laquelle nous assistons aujourd’hui fut aménagée par un cinéma antérieur à la Révolution et qui, se partageant entre une majorité d’œuvres commerciales et une minorité d’œuvres artistiques ou politico-militaires sut déclencher une dynamique dont l’aboutissement devait être l’irruption des événements de 1979.
Parmi les chantres de ce cinéma pré-révolutionnaire, on trouve Bahram BEYZAI qui procède à une critique politique aiguë du gouvernement de l'époque mais aussi Parviz KIMIAVI, Naser TAGHVAÏ, Amir NADERI, Ali HATAMI... Tous ont mené, chacun à leur manière, une remise en cause du régime en place. Cependant, seul Massoud KIMIAÏ est allé plus loin en se servant du cinéma comme d'une tribune politique destinée à soutenir sa lutte contre une situation qu'il cherchait à bouleverser.
A cet égard, un moment clé dans l’histoire du cinéma iranien pourrait être la sortie presque simultanée de « GHEISSAR » de KIMIAÏ et de "La VACHE" de Dariush MEHRJOUÏ en 1968; l’un et l’autre marquant une nette évolution dans la perception de la société. Ils ont connu un retentissement considérable auprès du public.
Quelques années auparavant, en 1966, KIMIAÏ arrive sur le devant de la scène avec un film intitulé "Viens, l'étranger". Celui-ci raconte l'amour que portent deux frères à la même femme: l'un est bon et doux, l'autre dur et méchant. Le cinéaste propose le suicide du « bon » comme la résolution au problème posé. Plus tard, nous allons voir l'importance du concept de « sacrifice » chez KIMIAÏ.
KIMIAÏ va devenir à partir de son deuxième film le réalisateur militant par excellence, représentatif de la société iranienne de l'époque. Le cinéma de cette époque était constitue par un groupe de réalisateurs de "films-farsi" (films commerciaux); cependant, se détachait, en marge de ce groupe, un autre ensemble de réalisateurs tout aussi important par son impact dans la population. Ce groupe d’avant-garde produisait des films d'ordre politique qui méritent notre attention.
Mais revenons à KIMIAÏ. Avec son deuxième film, GHEISSAR, le cinéaste invite le peuple à faire fi du gouvernement, en imitant le héros du film. Après le viol, le suicide de sa sœur puis l'assassinat de son frère, GHEISSAR prend l'initiative d'éliminer les trois frères assassins (AGHMANGOLS) avant de se faire tuer par les policiers du SHAH. La scène se passe à l'intérieur d'un train qui n’a pas de destination (ce train symbolise la société stagnante de l'époque).
La façon dont le personnage se fait assassiner est très subversive car elle évoque le culte du martyr; ce martyr nommé GHEISSAR demande à être vengé, dans une société chiite qui connaît bien la signification du sang et du martyr.
Il faut signaler que KIMIAÏ se situe dans une position charnière car il intègre dans ses films des éléments du film-farsi (commercial), tout en restant dans la catégorie des films artistiques. Les composantes des films-farsi sont introduites par M. KIMIAÏ à des fins politiques et militantes. Ce procédé a été utilisé déjà par FARROKH GHAFFARY « Le sud de la ville »(1958) pour évoquer les condition sociales.1

C’est à notre avis, avec son deuxième film GHEISSAR que KIMIAÏ -« représentant intellectuel » du peuple- signe le début d’un "long métrage" qui devait durer presque dix ans durant lesquels, devait souffler un vent de révolte sans cesse grandissant sur la société iranienne. Il a continué dans cette voie avec REZA LE MOTARD, son troisième film, puis avec BALOUTHCH, LA TERRE, LES CERFS; tant et si bien qu’avec un « accent prophétique », le réalisateur a pu proposer à la société iranienne un modèle miniaturisé de révolution islamique, près de deux ans avant qu'elle n'éclate dans la réalité: son film "LE VOYAGE DE LA PIERRE" l’atteste.
Ainsi KIMIAÏ a-t-il ouvert la voie d’une virulente contestation de l’Etat. Cependant il n’a pu aller plus loin après le VOYAGE DE LA PIERRE; « mutilé » par la censure, son dernier film avant la Révolution « La ligne rouge » n’a pu sortir sur les écrans. En effet, KIMIAÏ et Beyzaï ont été probablement les premières victimes- sinon les premiers déçus de la Révolution iranienne. Pourtant, opportunistes pour certains, en avance sur leur temps pour d’autres, Sales, Beyzaï, KIMIAÏ et d’autres cinéastes posent les jalons d’un nouveau cinéma que nourrit une nouvelle sensibilité dont l’affirmation coïncidera avec la période de recomposition post-révolutionnaire. Si le cinéma, réalité sociale parmi d’autres, s’apparente bien à ce que Marc FERRO nommait un « support historique », un outil d’analyse adéquat, alors Gueissar de KIMIAÏ ou la Vache de MEHRJOUÏ ou encore « Un simple événement » et « Nature morte » de SOHRAB SHAHID SALESS à l’affiche dès 1968, en passant par « Le Voyage de la Pierre » et « le Cercle » réalisés respectivement par KIMIAÏ et MEHRJOUÏ en 1978, annoncent bien qu’un cinéma original a vu le jour et avec lui, un regard inédit.
Ainsi prenant le contre pied du cinéma pré-révolutionnaire qui revendique une orientation politique claire et directe, KIMIAÏ- tout au long des années séparant « Gueissar » du « Le Voyage de la Pierre »-a entrepris une « lente » mutation: visant le renversement du régime, son cinéma a fini par se contenter de nier le pouvoir du SHAH au moyen de sa seule caméra.
De fait, politiquement parlant, la nouvelle stratégie du cinéma iranien repose essentiellement sur les acquis de l’expérience. Désormais, on ne peut plus chercher à transformer la situation en visant les têtes haut placées du pouvoir. Le cinéma de ces dernières années a mûri. Contrairement à son prédécesseur - et cela est valable pour toutes les autres formes d’expression - il ne cherche plus à diaboliser: atteignant un certain degré de clairvoyance et de courage, il a pu alors faire le constat que la société réclamait d’abord le soutien d’hommes et de femmes plus instruits et plus critiques. Le cinéma iranien d’aujourd’hui fait appel à la force de réflexion du peuple; il prétend pouvoir jouer sa carte dans l’auto thérapie collective de la société iranienne. Les responsables ont souvent dénoncé les jugements superficiels et inconsistants portés sur le cinéma par la population et par le gouvernement. Depuis quelques années, leur amertume tend à se dissiper : le cinéma a su gagner les faveurs du public et de la critique malgré une rémanence du « tchador noir » de la censure.
Faut-il y voir l’indice de la maturité du cinéma iranien post-révolutionnaire dont l’identité fut aussi hésitante que le régime fut fluctuant dans ses orientations? Si l’état d’esprit du public- en corollaire avec celui des cinéastes- à l’égard du cinéma se modifie après 1979, en revanche les bouleversements politiques, économiques, sociaux et culturels provoqués par la Révolution ont paralysé l'industrie du cinéma pendant plus de deux ans. Il faut attendre, en effet, le deuxième semestre de 1982 pour voir redémarrer le cinéma en Iran d'une manière cohérente et continue. Entre 1979 et 1982, sur le plan institutionnel, il n'y a plus de monarchie, le nouveau régime est une république sous contrôle de l'Islam. De nouveaux partis et de nouveaux mouvements politiques naissent tous les jours tant et si bien que personne ne sait exactement qui détient le pouvoir. Cette période de transition douloureuse est un temps de réflexion et de révision pour les cinéastes et le cinéma iraniens: ces réalisateurs sont conduits à définir une nouvelle voie. De son côté, le peuple iranien, gorgé de propagande islamique, déplore que le cinéma iranien soit si limité dans son langage, si éloigné des gens qu'il pensait jusqu'alors pouvoir toucher. Mais le torrent de mots d’ordre religieux annexés à des fins politiques, déversés sur le peuple iranien aboutit à un paradoxe dont le cinéma iranien a su prendre la mesure: En définitive, l'avènement de la Révolution et la volonté du nouveau Régime de tout politiser pour tout contrôler ont contribué à la démystification du politique et de son discours, voire à sa banalisation. Le cinéaste, quant à lui, lassé par ce phénomène concentrationnaire d’enrégimentement par militants et politiciens interposés sans cesse plus nombreux, a automatiquement retrouvé son vrai rôle qui consistait en l'expression d'une sensibilité, d'une vision du monde, celle d'un artiste.
Ainsi, cette redistribution des cartes et des rôles dans la nouvelle société iranienne a été bénéfique pour les artistes. Elle leur a donné un nouvel élan.
De plus, les exactions commises par les responsables et aussi par le peuple au nom de Dieu expliquent une plus grande prudence de la part des artistes depuis la Révolution: elle se manifeste dans leur discours mais, également, dans le choix des sujets et de leur traitement. C'est le commencement de la fin du double langage. Les personnages héroïques, le culte des martyrs "au nom de" sont « laissés de côté » dans le cinéma « sérieux » iranien. Finalement, le discours révolutionnaire évolue lentement mais avec certitude.
Avant d’examiner en détail quelques oeuvres de cinéastes, qui de 1979 à nos jours, prirent une part active à cette « réincarnation humaniste » du cinéma, considérons un instant le « cas » de SALESS inventeur dés les années 70 d’une veine réaliste au sein du cinéma iranien. Véritable géniteur du cinéma post -révolutionnaire, il est vraisemblablement le précurseur du nouveau regard apaisé que l’Iran pose aujourd’hui sur son univers. Un cinéma qu’à sa naissance les iraniens n’ont pas su accueillir à sa juste valeur!
Du « réel » au « mythe »
D’Un simple événement à la Nature morte

Né en 1944, Sohrab Shahid SALESS, , s’est tourné vers le cinéma dès l’âge de vingt-deux ans. Après s’être essayé au court-métrage, il reçoit la possibilité d’aller plus loin. Malgré les faibles moyens qui lui sont octroyés, SALESS parvient à tourner un long-métrage qui aura un impact considérable, en dépit de ce qu’ont laissé entendre certains détracteurs.
SALESS a coutume de dire quand on l’interroge sur son film Yék Etéfaghé Sadéh : “ Un simple événement n’a pas d’histoire. C’est le rapport au quotidien de la vie d’un jeune garçon. ” En effet, l’histoire ne pourrait pas être plus simple: la caméra suit pas à pas un gamin dont le père vit de pêches clandestines dans le port de Turkmène. La caméra restitue fidèlement les attitudes et les comportements des personnages; le regard du spectateur apprend à surprendre les personnages et à apprécier, seconde après seconde, le passage d’un temps qui semble décomposé par la caméra. Une décomposition recomposée ensuite par un montage simple et « naturel ». C’est l’essence du temps qui nous est donnée à sentir au-delà du spectaculaire. S. S. SALESS l’a toujours dit. Il cherche à “ affronter le réel sans se dissimuler derrière les enthousiasmes faciles ou les rêves flatteurs ” 2. Pour lui, le cinéma doit accueillir la vie dans sa « totalité »: “ Lorsque j’étais enfant et que j’allais au cinéma je me disais : “ Pourquoi ne filme-t-on pas ma classe ou bien mes petits camarades ?

Pourquoi la vie d’un ouvrier, celle d’un maçon, d’un conducteur de bus ou d’un marchand de billets de loterie n’intéresse-t-elle pas le cinéma ? Pourquoi cette fuite hors du réel ? … C’est en réfléchissant à ces questions que je me suis dirigé vers le documentaire […] J’entends par “ documentaire" un film conforme à une vérité subjective […] A tort, certains s’imaginent pouvoir trouver une adéquation avec le réel, comme si on avait une chance de le filmer!” .3
Quand on lui demande comment il est parvenu à transformer le tournage d’un film court en long-métrage, SALESS répond “ Dès le début, je savais en mon for intérieur que ce film serait long, alors, au lieu de faire cinq prises, je n’en faisais qu’une et ainsi de suite…" 4
Filmer des “ gens ordinaires ” et non des acteurs professionnels a un sens pour SALESS. Il explique comment l’idée lui est venue: “ D’abord, je me suis rendu dans la ville de GORGAN puis, j’ai gagné Bandar é Turkmène ; là-bas, j’ai découvert mes acteurs dans la rue. Certains croyaient que je me moquais d’eux ; d’autres, au contraire, se réjouissaient par avance.
Mais tous ont finalement accepté de participer gratuitement au tournage. Mohamad Reza ZAMANI (rôle principal) était un jeune écolier qui n’avait jamais fréquenté les salles de cinéma. Il habitait avec sa famille dans une toute petite maison. Ils étaient vraiment pauvres. J’ai fait un essai avec lui et j’ai tout de suite pensé qu’il était très talentueux. J’ai aussitôt demandé à sa mère une autorisation en lui proposant d’offrir à son fils un vélo mais elle a pris peur et m’a rétorqué : “ Vous voulez tuer mon enfant ? ” Pendant trois jours, je n’ai pas eu de nouvelles… ”
Cette défaillance était sans doute à mettre sur le compte de leur “ intégrité ”. Participer à un film grand spectacle les aurait peut-être rassurés. S. S. SALESS approuve: “ Ils étaient très gentils, ils m’ont demandé : “ De quoi parle ton film ? c’est comme la télévision de maison du thé ? ” non !J’ai répondu. Alors ? Rien. Vous vivez et moi je filme ! »5
Apparemment “ Un simple événement ” avait peu de chances de « percer » au milieu d’une jungle de films commerciaux et idéologiques ou de films étrangers qui envahissaient le marché iranien. S. S. SALESS déclare : “ Une fois le scénario terminé, je n’avais guère espoir de réaliser le film. Je ne voyais pas l’avantage que la société et le producteur pouvaient en tirer… d’autant plus que le film ne mettait aucun message en avant. Cependant, ils ont fini par accepter. Pour moi, il s’agissait de montrer dans la société la vie d’êtres humains qui n’ont rien de héros. Ce sont des gens qui n’ont pas d’explications particulières à donner à leur vie et au temps qui passe. Ils sont habitués à se répéter tous les jours. ”6
Si l’on entreprend de présenter en quelques mots « Un simple événement » on risque de se heurter à un écueil: car derrière sa simplicité apparente, se cache une complexité interne. Et c’est justement cette complexité qui freine, pour le regard, la traduction en mots d’une telle sobriété. Peut-être pourrait-on avancer que compréhension et intuition ne vont pas toujours de pair. Ou encore, se justifier au moyen d’une image : si, en humant une odeur, on constate qu’elle est bonne ou mauvaise, on se réjouit ou on s’en afflige. Ce n’est pas pour autant qu’on est en mesure d’expliquer le comment et le pourquoi de l’impression de l’odeur en notre âme. C’est en ces termes qu’on pourrait parler du film de SALESS.
D’autre part, ajoutons que ce film allait à contre-courant de la production cinématographique de l’époque : dans “ Un simple événement ”, il n’y a ni viol, ni vengeance, ni massacre ; bien au contraire, c’est à une réconciliation que ce film invite : le “ bon ” et le “ mauvais ” apparaissent comme les racines de l’arbre de la réconciliation. Désormais, il n’est plus question de « mal » ou de « bien », ces absolus que le film ignore, ou il ne le reconnaît pas. En leur substituant le “ mauvais ” et le “ bon ”, il humanise le divin, rendu à sa dimension subjective et relative. Avec ce passage du « bien » au « bon » et du « mal » au « mauvais », le film se situe au-delà de l’affrontement des contraires. En outre, l’abandon des thèmes en vogue – jalousie, mensonges, adultères – conduit le réalisateur à laisser de côté la morale ; loin d’imposer un message, le film de SALESS prétend poser un regard franc sur une réalité humaine, appréhendée dans sa richesse et son dénuement à la fois. Tout se passe comme si S. S. SALESS avait donné le temps à sa caméra de saisir l’urgence des instants qui révèlent la vérité des hommes. En effet, en bâtissant son film sur la complémentarité de la clarté et de l’ombre, le réalisateur a écarté du même coup l’éternel conflit entre la lumière et l’obscurité pour arriver quelque part dans une dimension relative.
Sur le chemin du cimetière où sa femme vient d’être enterrée, le père, suivi de son fils réticent, arrive au tombeau : scène unique du cinéma qui se déroule dans un cimetière gigantesque gardé par un immense portail rappelant les portes imposantes de l’Antiquité : c’est le lien intime entre les vivants et les morts qui passe à travers ce portail dans un cimetière qui n’a pas de murs. C’est aussi le lien solennel de la réconciliation éternelle entre les morts et les vivants, entre un père et un fils dont la distance spatiale et affective s’amenuise peu à peu. L’absence du thème du démon ou du diable va de pair avec le refus de présenter à l’écran un Dieu vengeur ou belliqueux ou même hypocrite; puisqu’il se dit miséricordieux alors qu’il donne aussi l’ordre de tuer! Le dieu invoqué dans “ Un simple événement ” pourrait presque figurer dans la liste des personnages car c’est sa face humaine que le film de SALESS nous donne à voir. En témoigne ce dialogue :
Le professeur : “ Où étais-tu ? ”
Mahamad : “ Ma mère était malade. ”
Le professeur : “ Qu’avait-elle ? ”
Mahamad : “ Mal au ventre. ”
Le professeur : “ Ce n’est pas grave. C’est la volonté de Dieu. ”
Rappelons une autre scène : en auscultant le corps de la mère du jeune garçon, le médecin découvre qu’elle est morte. En l’annonçant à Mohamad, il fait allusion à la volonté de Dieu. Si les paroles du médecin traduisent bien sûr l’archaïsme d’une société confinée dans ses croyances, elles sont aussi à un niveau supérieur la manifestation d’une participation “ intime ” de Dieu au quotidien des personnages ; en ce sens, Dieu apparaît tout aussi nécessaire à la fiction que les autres acteurs.
Cependant, il convient de ne pas perdre de vue que si SALESS tourne en dérision l’adaptation parfois chaotique des coutumes iraniennes à une modernité souvent mal comprise, il dépasse l’aspect circonstanciel de la critique pour s’intéresser au noyau de l’être humain qui, lui, ne change pas, d’une époque à l’autre. Une scène du film en rend compte : Mohamad vient de perdre sa mère ; les absences répétées de son père le livrent peu à peu à lui-même ; cependant, il ne sombre pas pour autant dans la douleur : à voir la ferveur avec laquelle il vide la bouteille de soda qu’il s’est autorisé pour la première fois de sa vie à acheter, on dirait qu’il goûte à une espèce de plénitude d’être qui va au-delà de la souffrance imposée par les circonstances familiales. Un peu plus loin, une scène montre le père envoyant son fils faire des devoirs de classe ; tout de suite après, le père tourne le dos à l’enfant et s’endort. Imitant sur-le-champ son père, le fils se couche sur le matelas. L’humour a dépassé la critique.
Le film de SALESS ne saurait se laisser enfermer dans sa dimension critique: s’il pointe les défaillances de la famille ou encore l’ignorantisme religieux ou social, il va bien au-delà du simple constat. En un temps où l’idéologie imprégnait nombre de scénarios, on devine aisément qu’« Un simple événement » ait eu maille à partir avec la critique. Sa singularité et son caractère profondément novateur empêchaient l’adhésion immédiate. Même aujourd’hui, l’intelligentsia qui salue le film observe encore quelques réserves sur sa dimension « ontologique ». Elle préfère revenir sur sa portée politique et sociale. Mais est-il vraiment possible de ne pas voir des analogies, une connivence entre « Où est la maison de mon ami ? » de A. KIAROSTAMI et le film de S. S. SALESS ? Une action plongée dans les méandres du temps et une intrigue dépouillée de tout artifice situent le film de S. S. SALESS dans la continuité du cinéma iranien actuel. Le parcours de ce réalisateur illustre à ce titre l’histoire du cinéma iranien qui est celle d’une continuité. Après la Révolution, on redécouvre le cinéma précurseur de SALESS, on n’hésite pas à s’en inspirer même si on est encore loin de lui rendre les hommages mérités.
Le cinéma a la prétention de toucher le cœur de l’existence. C’est beaucoup et peu à la fois. Le spectateur est appelé à reconnaître la vie dans le cinéma . Ainsi « Un simple événement » n’a pas de fin: sur une route « encombrée » de voitures, la dernière scène nous montre le pêcheur et son fils en partance.
Bien sûr, une question s’impose, pour qui n’a pas vu le film: peut-on se passer d’une histoire sans risquer de plonger le spectateur dans l’ennui? Si S. S. SALESS a tenu ce pari, c’est qu’il avait misé sur une esthétique qu’on peut appeler «choc-étonnement». Il nous revient en mémoire une scène particulièrement éclairante où les images juxtaposent non-communication et complicité entre un père et un fils, archaïsme et modernité, donnant ainsi à « voir » la richesse et la complexité de la vie. Le père du film a giflé son fils. Son geste est démenti aussitôt par un autre geste: le père tend à son fils une lettre qu’il lui demande de lire. Presque simultanément, deux mondes se mettent à co-exister: l’archaïsme de la gifle et la modernité de la lettre se rejoignent pour suggérer les contradictions d’une société encore freinée par la tradition mais déjà en route vers le progrès.

Nature morte (Tabiâté bijan)7
Avec son deuxième film, Sohrab Shahid SALESS rend hommage à la vie, à sa houle déferlante qui emporte sur son passage arbres, routes, chemin de fer et visages puis les dépose aux pieds des spectateurs. La caméra du réalisateur a saisi la vie, au bord de sa fragilité; elle en a capté aussi les vertus et les générosités. « Nature morte » annonce tout doucement les mutations à venir. Sans crier gare, contournant les obstacles des « Il faut » et « Il ne faut pas » de la société iranienne, la caméra habitue le regard du spectateur à un autre rythme, plus lent et plus serein. Elle s’arrête sur des visages d’êtres humains, saisis dans la vérité de l’instant qui dure: l’aiguilleur et sa femme se contentent de vivre sous nos yeux comme si le cinéaste était parti en quête d’expressions fugaces, d’attitudes qui ne cherchent pas à s’imposer mais qui « sont » seulement. Parce qu’il a donné le temps à la caméra de capter le lent travail des secondes, des minutes, des heures, SALESS a débarrassé son film des scories et des
artifices du cinéma.
Ici, les bagarres, les menaces ou les vengeances ne portent pas. Non, c’est l’instant dilué, rendu à ses qualités, qui compte. Le spectateur décille son regard, il apprend la patience qui permet d’apprécier le mouvement décomposé de chaque geste. Suivre le halo de fumée qui s’échappe de la bouche d’un vieillard ou encore prêter attention à ses quintes de toux prend ici tout son sens. C’est le flux de la vie coulant du passé au présent, s’élançant vers un avenir au rivage toujours proche et lointain à la fois que SALESS nous suggère peut-être...
Nature Morte n’oublie pas les écueils de la société iranienne « immobilisée » par le poids d’une tradition aliénante. L’obstacle donne son prix au film qui ne se complaît à aucun moment dans une vision figée du réel. Au contraire, le film puise son énergie dans un quotidien qui ne saurait se laisser enfermer dans un discours. C’est cette énigme du geste et du regard qui confère à « Nature Morte » son rythme et son lyrisme : “ Qu’est-ce que la vie ? ” Sans doute une question. “ Nature Morte ” ne met pas un point final sur le crépuscule d’un homme. L’aiguilleur n’est pas seul au fin fond de sa solitude de mortel. La simplicité de son univers, ses objets familiers sont au centre d’une relation amoureuse. Sur le point de prendre sa retraite, atteint par la vieillesse, l’aiguilleur conserve un lien privilégié avec les arbres, le chemin de fer… Ses gestes, l’attention portée aux objets qui l’entourent, disent qu’il est avec la vie, jusqu’au bout : dans ces conditions, ni sa femme ni son fils soldat ne pourraient combler sa solitude ; c’est tout simplement la vie qu’il entretient avec ses mains, avec ses yeux, et qui le gardent de la mort.
Avec “Nature Morte” on échappe au manichéisme des cinéastes et même des intellectuels de l’époque: le réalisateur met en scène des personnages qui ressemblent, la maturité aidant, aux héros d’ ”Un simple événement ” : ils n’inspirent ni haine ni amour ; mais leur présence, aussi irréductible et changeante que la goutte d’eau- fragile et tenace à la fois- glissant sur la feuille, renvoie au mythe. C’est pourquoi le spectateur retient son souffle et suit le mouvement de chaque geste, depuis son ébauche jusqu’à son terme. Le vieil aiguilleur sort de sa poche un étui à cigarettes en métal. Puis, sans précipitation, entreprend de rouler une cigarette, craque une allumette, glisse la cigarette entre ses lèvres et aspire la fumée. Le mouvement ainsi décomposé se charge de sacré : loin de se décourager, le spectateur devine qu’il touche là quelque chose d’essentiel, d’irréductible à la nature humaine. En ce sens, “Nature Morte” dessille le regard du spectateur en soulevant le voile de l’habitude et de la banalité. Le film le convie doucement à voir le corps nu de la vie, léger comme l’odeur et lourd comme la montagne. Un peu à la manière de la vieille femme de “Nature morte”, occupée à enfiler une aiguille : lenteur interminable d’un geste qui se reprend et que le spectateur accompagne jusqu’au bout pour cueillir le regard d’une mère ou plutôt de la Femme : fragilité d’un instant magique, chargé de sollicitude et d’émotion, offert au fils soldat revenu à la maison, au spectateur aussi qui a retenu son souffle. Une sorte de l’intensification résonante et silencieuse de la vie. Un courant d’amour silencieux est passé entre les personnages qui savourent en toute simplicité leur bonheur à se tenir en vie ; bonheur sans éclat, tout entier contenu dans trois oranges nimbées de lumière.
Quelques temps avant sa mort en exil (juillet 1998) Sohrab Shahid SALESS aimait à dire: «je ne suis pas tombé du ciel. Je me suis inspiré de l’histoire et du cinéma mondial et iranien, en particulier...j’avais des choses à dire, j’ai pu en dire quelques unes avec beaucoup de difficultés, j’ai encore beaucoup de choses à dire, mais la vie est courte…»8

cinéma post-révolutionnaire
Après la déception et le « mauvais » résultat que le cinéma militant a provoqué dans la période d’avant la Révolution chez les intellectuels mais aussi le peuple, ce cinéma a tenté de renaître de ses cendres. C’est pour cette raison qu’il a cherché -de façon délibérée ou pas- à se réconcilier avec une certaine vision de son histoire et surtout avec une littérature et une tradition poétique, l’image et surtout le cadre, traductions plusieurs fois millénaire trouvent leur place dans ce cinéma. L’exemple flagrant de cette réconciliation est « Où est la maison de mon ami? » de KIAROSTAMI. Car, d’une part, sur le plan poétique, le film s’inspire du poème de Sohrab SEPEHRI « Ou est la demeure de l’ami? »9, et d’autre part sur le plan esthétique et même thématique, il se réfère à « Un simple événement » de SALESS. La référence à KIAROSTAMI n’est pas restée isolée; elle a donnée naissance à un courant qu’on peut appeler « Cinémyé noviné Iran » (le nouveau cinéma iranien). A la tête de ce cinéma, se trouve aussi bien KIAROSTAMI que Bahram BEYZAÏ, dramaturge, qui depuis longtemps mène une réflexion sur le cinéma et la « civilisation » de l’image en Iran. Même s’il est de plus en plus difficile pour ce dernier de réaliser un film en Iran, on se souvient de son « Bashu, le petit étranger », qui illustre le mouvement qui part de la protestation et de l’effervescence sociale pour arriver à une dimension humaine complexe.

Il semble par ailleurs que le cinéma iranien en tant que phénomène de société veuille préserver sa fertilité. En l’an 2000 nous avons assisté l’apparition d’un autre cinéaste. Il s’agit de Bahman Ghobadi avec son premier long métrage Un temps pour l’ivresse des chevaux. Ce film est une nouvelle pierre dans l’édifice du cinéma iranien. Nous y reviendrons en conclusion.
On ne saurait oublier Mohsen MAKHMALBAF, le personnage-metteur en scène (pour certains de ses films on pourrait parler de « metteur en question »). MAKHMALBAF est un homme complexe: ancien membre d’un groupe militant(pour ne pas dire terroriste)avant la Révolution, il a été conduit à se poser en « père fondateur » d’un cinéma « pur et dur », idéologico-islamique. Il s’octroyait à l’époque la liberté de « juger » et de « condamner » tous ceux qui avaient une activité cinématographique dans l’ancien régime.
Pourtant, c’est la même personne qui peut, à plus d’un titre, faire figure de représentant des changements et des évolutions opérés par le peuple iranien. Il a su évoluer. Le scénario de « Taujih »(Justification) qui justifie l’attentat suicide d’un jeune activiste musulman contre le régime du Shah mais aussi contre les américains en Iran(1982, réalisé par Monoutcher Haghaniparast) ou son premier long métrage « Repenti », « Le Refuge » (1983)… se situent dans une mouvance idéologico-islamique. A partir du « Camelot »(1986), du « Mariage des Bénis »(1988) et de « Nasseradin Shah, acteur de cinéma »(1991): le cinéaste critique avec finesse, le censeur et la censure; son personnage principal, le « Shah », finit même par se réconcilier avec l’art et le cinéma. Plus tard, avec « Un instant d’innocence », MAKHMALBAF s’engage encore plus loin dans une voie qui traduit une évolution surprenante dans son parcours du fanatisme vers la tolérance.
L’itinéraire de MAKHMALBAF est typique du phénomène de politisation que connaît la société iranienne. Par ailleurs, il est remarquable de noter comment cet ancien révolutionnaire intraitable se métamorphose, de jour en jour, en analyste critique de cette même Révolution. Son propos n’est pas pour autant de suggérer, aussi habilement que possible, une transformation de la société par la « décapitation » de ses responsables politiques mais d’encourager la transformation intérieure du peuple iranien en le confrontant à sa propre « image ». Son projet semble s’inspirer d’un peuple, lassé de la violence idéologique qui sévit depuis au moins les années 1970. Depuis, Makhmalbaf a réalisé d’autres films comme « Salam cinéma » (1992), « Le silence »(1993), «Un instant d’innocence»(1995)ou encore le « Kandahar » (2001). Ces films présentent un certain intérêt esthétique, social et historique. Nous sommes parfois devant des scènes et de séquences inouïs de beauté mais hélas la recherche cinématographique et artistique, la « façon Makhmalbaf » qu’on a pu apprécier dans certains de ses films comme «Le mariage des bénis », « Le Camelot » et « Nasseradin Shah, acteur de cinéma » sont ici absentes.10
Revenons à Kiarostami, figure reconnue comme maître du cinéma post-révolutionnaire qui s’est imposée sur le devant de la scène. Ce cinéaste est porté à rechercher délibérément les sujets les plus simples, ceux qui touchent au plus près la quotidienneté des hommes et des femmes de son pays, pour découvrir le sens caché de la vie humaine. En effet, c’est toujours la pulsion du « partir » qui anime ses jeunes héros et qui est au départ du scénario. Mettre sa pensée en mouvement, chercher un but, trouver un chemin, affronter les menaces et les obstacles et, au bout de la course, rencontrer une victoire qui étonne et qui interroge. Bref, la vie dans une image qui court et prend son temps.
Abbas KIAROSTAMI a conçu dès ses premiers films l’idée d’aider la société à démarrer une auto-thérapie. L’osmose de l’artiste avec son peuple ne laisse pas d’interroger le spectateur. En effet, cet éveil de l’intelligence encouragé par le cinéma de KIAROSTAMI serait impossible sans la relation complice qu’entretient le cinéaste avec la société et la culture iraniennes. S’il revendique à ce titre le qualificatif de « penseur », son cinéma, quoique ambitieux, demeure en apparence sans prétention. Derrière le sujet humble du « Pain et la rue » (1970), comment deviner la trace du théoricien ? Un enfant doit rapporter un pain à la maison. Soudain, surgit une difficulté : un chien barre la route à l’enfant qui ne peut plus avancer. Voilà en quelques mots le sujet du film : histoire d’un enfant, d’un pain et d’un chien. Mais aussi, histoire de la peur et de l’effort. Sur le chemin passent des « grandes personnes » indifférentes à l’enfant, aveugles à l’obstacle. En l’espace de onze minutes, KIAROSTAMI scrute, avec une attention infinie, des détails qui se chargent peu à peu d’une signification. Sa caméra soutient sans impatience les lents progrès d’une pensée qui chemine et grandit en l’enfant. Ce dernier finit par trouver la solution de son problème en même temps que le spectateur qui l’a accompagné jusqu’au bout. Avec ce film, KIAROSTAMI posait la première brique de son cinéma et s’affirmait déjà comme un franc-tireur du septième art. Pendant la projection du « Pain et la rue », le spectateur « visite » le personnage de l’enfant, participe à l’effort d’une pensée tendue au dessus de l’obstacle à dépasser. Il trouve dans l’image de l’enfant arrêté -le pain à la main- par un chien affamé, la représentation enfouie d’un enjeu personnel.
Dans « le Passager », l’enfant du « Pain et la rue » a grandi. Il s’appelle maintenant GHASSEM et on lui donne environ dix ou douze ans. L’histoire reprend le leitmotiv du chemin : partir encore, trouver son chemin, affronter l’obstacle, l’incertitude, l’angoisse et au bout du compte, réussir et ne pas réussir à fois ! L’enfant, pour rejoindre Téhéran et assister à un match de football, doit braver les interdits familiaux ; la menace des coups ne le décourage pas. Il s’arrange pour rassembler l’argent nécessaire au voyage et c’est dans un bus de nuit qu’il atteint Téhéran. La victoire est proche. Mais voilà que , miné par la fatigue, il s’endort à quelques mètres du stade ; livré au déchaînement de ses rêves, l’enfant ne se réveille pas. Le match s’achève...,Cependant, l’échec de GHASSEM est aussi une réussite.
Le spectateur demeure avec l’image à la fois nette et floue, consciente et inconsciente, de matchs sans fin, de jeux qui sont faits pour nous sans que nous y participions et dont nous ne serions peut-être presque jamais les spectateurs !
La réputation mondiale de KIAROSTAMI n’implique pas dans son oeuvre une vision universaliste. Le cinéaste a choisi au contraire de filmer la vie quotidienne à l’échelle la plus petite de son pays, le village, voire le quartier - mais c’est la profondeur de ce regard posé sur l’infime, sur l’anecdotique qui a su donner à son cinéma une valeur universelle. C’est ainsi que dans « Où est la maison de mon ami ? », KIAROSTAMI a centré la quête de son personnage autour d’un village marginal du nord de l’Iran.
Quel est le sujet du film ? Un simple cahier de devoir, un sentiment de responsabilité, de solidarité, et à nouveau la pulsion du « partir », le chemin incertain, les éternels obstacles. Rien de plus et, pourtant, tout est là. AHAMAD a pris la décision de rendre un cahier à son ami. Alors que la nuit tombe et que la route est sinueuse, sans éclairage, comme si elle était la route de la maison de Dieu :L’Ami, pour les mystique persans, est l’un des noms de Dieu. Ainsi existe-t-il une identité entre l’Ami et Dieu, d’où les expressions : « le chemin de l’ami », « la maison de l’ami »…11. Ainsi le jeune garçon, suivi de l’ombre affectueuse des spectateurs, avance, se heurte aux vieux « ennemis » de toujours, livre combat, pendant que le spectateur prie Dieu de lui venir en aide. Car il s’agit pour AHAMAD d’une mission : le cahier, support de l’écriture et gardien du savoir, ne renaîtra à lui-même qu’à l’issue de la bataille contre les témoins et les agents de l’archaïsme. AHAMAD a engagé une traversée des apparences : le « réel », recueilli dans sa simplicité et son apparente insignifiance, retrouve une profondeur oubliée ou tenue cachée.

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La spécificité du quotidien d’un village s’enrichit d’une poésie qui naît de la répétition lancinante de faits simples : ce sont des jalons dans la quête du personnage, des questions ouvertes que lance le film aux spectateurs de Téhéran, mais aussi de Paris ou de Delhi...soudain rassemblés dans la recherche de la « Maison de leur ami ».
KIAROSTAMI a cerné le mal principal qui endeuille l’Iran et en remontant à sa source, il a rencontré l’univers de l’enfance. C’est dans le temps des origines qu’un remède peut être trouvé. Les « Primaires » (1985) et « Devoir du soir (1988) rendent compte de cette conviction profonde. Dans le film de 1985, il semble que KIAROSTAMI lève, avec une audace saisissante, le tchador noir et lourd derrière lequel la société a pris l’habitude de camoufler tous ses malaises.
Le douloureux quotidien des enfants astreints à la docilité et à l’obéissance nous est montré sans négliger pour autant le « point de vue » des « oppresseurs ». Innocents, délicats, ces enfants sont confiés à des « directeurs » aussi brutaux qu’injustes : parmi eux, se trouve le proviseur du collège dont le cinéaste, habilement, débusque toute la violence des propos, continuellement dissimulée derrière des sourires calculés et des pensées faussement affectueuses à l’endroit de « ses » enfants. KIAROSTAMI nous place devant la réalité d’une école caserne où, à l’ombre de ses « commandants », se fabriquent des « objets » humains asservis. Ces enfants, âgés de cinq ou six ans, alignés tels des soldats, sommés devant leur directeur-confesseur de se repentir de fautes vénielles, ne sont-ils pas le symbole d’une répression qui s’abat depuis longtemps sur la société iranienne et dont les effets ne cesseront de s’exercer tant que l’enfant sera ainsi brimé ? Bien loin d’adoucir ce climat oppressant, la présence de fleurs à la fin du film ajoute une note tragi-comique.
Poursuivant sa quête d’une vérité au sein d’une société qui se plaît à multiplier les faux-semblants, KIAROSTAMI nous transporte de la triste réalité des « Primaires » à l’ambiance délétère de la maison familiale dans « Devoir du soir ». Bien que dynamique, la société iranienne est présentée comme un « tourbillon », un cercle infernal au sein duquel l’enfant naît et grandit, mais duquel il ne peut s’extraire sans difficulté. Il évolue dans un milieu aliénant et ce, dès ses premiers pas : il est puni à tout propos et ses bonnes actions sont ignorées. On devine qu’à son tour, plus tard, il apprendra à punir. Pris dans la logique du système, l’enfant devenu adulte, ne pourra que reproduire le milieu éducatif dont il est issu. Cette éducation conduit à un non-sens : en réduisant l’enfant au silence et à l’obéissance, on le condamne à mieux mentir. Car le paradoxe veut qu’une société qui s’acharne à régenter la vie de ses enfants ait à craindre un effet exactement contraire à celui recherché. La singulière dialectique qui finit par s’installer conduit l’enfant à détourner les ordres : le « ne mens pas » devient « mens avant tout »... A ce propos, KIAROSTAMI confiait : « avec « Devoir du soir », je m’attache à montrer que dans notre société, nous avons appris à ne pas dire ce que nous pensons pour avouer ce que nous ne pensons pas. Fondamentalement, nous sommes éduqués dans le mensonge ». Ainsi, on peut croire que l’asservissement à des ordres sans fondement réel et la souffrance des enfants sans défense dont le seul tort est de vouloir vivre leur enfance, sont des composantes sociales et politiques de ce pays. Cependant, l’espoir d’un changement est bien là. Que des contempteurs aussi implacables que KIAROSTAMI soient sans cesse plus nombreux, et que parmi les responsables artistiques iraniens se trouvent des personnes courageuses qui osent dénoncer une situation aussi désagréable soit-elle, tend à prouver sans doute que ce changement n’est pas loin.
A la suite de ces deux films, KIAROSTAMI réalise « Close up », qu’il tient en 1993 -à la date de notre entretien- pour son oeuvre la plus aboutie. « Ce film, confie-t-il, est le seul de tous mes films qui m’inciterait à pénétrer dans une salle de cinéma où il serait projeté et à le regarder en compagnie des spectateurs, jusqu’au bout... » le protagoniste du film, HOSSEIN SABZIAN est conduit par KIAROSTAMI à revivre le fait divers dont il a été « le metteur en scène ». Or, il se trouve qu’il pourrait être un de ces enfants broyés des « Primaires » ou de « Devoir du soir ». HOSSEIN SABZIAN s’est fait passer auprès d’une famille de la bourgeoisie de Téhéran pour MOHSEN MAKHMALBAF, le célèbre réalisateur. Certes, le thème de l’usurpation d’identité n’est pas inédit. Mais ce qui en fait le prix, c’est l’« adéquation » parfaite du héros à la société dont il est issu : il en est le produit naturel, logique. On peut même établir la généalogie de SABZIAN en songeant aux deux précédents documentaires de KIAROSTAMI : comment en effet ne pas deviner l’enfance de SABZIAN dans les visages meurtris, aliénés des enfants de « Devoir du soir » ? Amoureux du cinéma, SABZIAN désire avant tout qu’on le respecte, qu’on l’écoute ... lui, qui fut humilié dans sa prime enfance, à la maison comme à l’école. C’est pour toutes ces raisons qu’il prend le risque d’usurper l’identité d’un autre. « Le dernier jour, avoue-t-il à KIAROSTAMI, j’étais certain à 80% que je serais arrêté, et pourtant, je n’ai pu m’empêcher de jouir jusqu’à l’ultime minute de ce respect provisoire qui m’était accordé. »
Oscillant entre fiction et documentaire, « Close up » est avant tout l’étude socio-historique d’une période déterminée de la société iranienne. Une société plongée dans la torpeur par la Révolution puis frappée, comme ébahie, par les années de guerre. Une société finalement « bloquée » qui, apparemment, n’attend plus aucun « événement ». Les personnages de « Close up » le savent, eux qui, de leur propre chef, sont disposés à créer cet événement. SABZIAN n’est pas le seul à vouloir se faire passer auprès d’autrui pour ce qu’il n’est pas. La famille AHANKHAH, qu’il pensait pouvoir duper, se montre également désireuse de s’illusionner sur son propre sort. Le vrai n’étant pas accessible, elle se contente du faux, consentant à ce jeu de dupe comme si, amoureuse d’une toile de maître, elle se consolait avec sa copie. Pour SABZIAN comme pour la famille AHANKHAH, il s’agit d’échapper au quotidien malmené par une société en crise.
SABZIAN a connu une existence douloureuse. Homme sensible aux goûts artistiques affirmés, il était ouvrier d’imprimerie. Grand lecteur, autodidacte, il a sombré dans la pauvreté et le chômage. Cependant SABZIAN est dans l’attente d’un événement. Quant à la famille AHANKHAH, KIAROSTAMI l’a décrite en ces termes : « Le père est colonel, licencié après la Révolution. Voilà dix ans qu’il demeure au foyer. Ses fils n’ont pas pu s’accomplir dans leur vie professionnelle. Sa fille ne réussit pas le concours d’entrée à l’université.... » Tous tournent dans le cercle infernal du quotidien. « Close up » agit telle une plaque sensible. KIAROSTAMI nous dévoile les thèmes de l’amour nécessaire, du mensonge indispensable, de la fierté essentielle, de l’imagination salvatrice.
L’amour dans « Close up » s’attache à la vie. C’est celui que SABZIAN manifeste dans sa quête éperdue du respect, de l’écoute. Pour parvenir à ses fins, il n’hésite pas à se glisser dans la peau d’un personnage, au centre de toutes les attentions: le metteur en scène. Le mensonge ici est un signal d’alarme, trahissant l’être le plus profond d’un homme. Un mensonge existentiel. L’autre sujet essentiel de « Close up » demeure, certes, le cinéma, ou plus exactement l’image qui est recherchée à n’importe quel prix. La « culpabilité » s’étend à tous les personnages: SABZIAN est un imposteur, donc coupable. La famille AHANKHAH ne l’est pas moins puisque, de l’aveu même du père et de ses fils, chacun de ses membres savait dès le début qu’il n’était pas confronté au vrai MAKHMALBAF. Pourtant, tous, comme liés par une connivence tacite, vont jusqu’au bout de la logique. Hors du cercle familial, auquel SABZIAN finit par être intégré, les autres personnages ne sont pas mieux traités. Ainsi, le « journaliste » mène l’entretien avec SABZIAN à la façon d’un interrogatoire de police: en traitant ce dernier comme un vulgaire escroc, il ne sort pas grandi. Or, voilà que tous ces individus, conviés par KIAROSTAMI, ont accepté par amour exclusif du cinéma d’être filmés ou de reconstituer devant la caméra les épisodes du fait divers, découvert par le cinéaste lors du jugement de SABZIAN. KIAROSTAMI déclare : « L’aide la plus substantielle apportée à un cinéaste dans son travail est le désir acharné de chacun d’avoir accès à son image... Aussi, je me demande comment il est possible de vivre dans un lieu dépourvu de tout miroir.. Comment peut-on se comprendre si on ne peut pas se réfléchir ? Que pensent les gens d’eux-mêmes ? Quels sont leurs relations, leurs comportements ? !.. Dans ce film, tout le monde est dévoré par la passion de sa propre image... »12
Mais ce qui frappe avant tout dans « Close up », c’est la volonté farouche de réhabiliter un homme qui, comme des milliers d’autres en Iran ou ailleurs, a perdu son honneur à force d’humiliations censées le punir pour des fautes qu’il n’a pas commises. Il lui faut vivre avec ce poids, cette déchirure, quitte à en perdre la raison.
« Close up » parvient-il à son but ? Seul l’écho qu’il a rencontré dans la société iranienne pourrait nous fournir une réponse. KIAROSTAMI se montre plus réservé : « Quoi qu’il en soit, je n’attends rien d’un cinéma qui ambitionne de changer la vie d’un homme. Pour cela, il faudrait en premier lieu changer l’opinion publique, ce qui réclame du temps. Par conséquent, un point de vue réaliste nous conduit à n’envisager aucun changement dans la vie de SABZIAN à la suite de Close up ».13
Il ressort de l’analyse des films de KIAROSTAMI, une attention soutenue portée à l’exigence de la vie. Avec « La vie et rien d’autre » (1991) puis « Au travers les oliviers », KIAROSTAMI célèbre le culte de la vie au cœur des ténèbres: ces deux films se déroulent dans le nord de l’Iran ravagé en 1990 par un tremblement de terre qui a provoqué de lourdes pertes parmi une population réputée pour son hospitalité. C’est pourtant dans ce paysage désolé, privé d’identité, dans ce nulle part, que le cinéaste part à la recherche patiente des moindres signes de vie. La caméra s’acharne à prélever du chaos une manifestation d’humanité la plus infime, pour en fixer le témoignage. « La vie et rien d’autre » fourmille de scènes où s’affirme la supériorité de la vie sur la mort : les retrouvailles de la vieille femme avec sa bouilloire et son tapis arrachés aux gravats ou encore les efforts récompensés des enfants qui, coûte que coûte, goûtent à la joie d’une retransmission sportive en parvenant à installer au sommet d’une colline une antenne de fortune.

Et la vie continue
Ce film a bénéficié à l’étranger d’une critique très favorable. En revanche, l’Iran a boudé ce film à cause sans doute du parti pris « exclusivement humaniste » du cinéaste. Bannissant de son oeuvre tout slogan politique, KIAROSTAMI choisit délibérément les sujets en apparence les plus anodins pour évoquer la réalité quotidienne des hommes et des femmes de son pays. C’est l’essence de la vie que sa caméra dévoile. Il s’agit de la vie telle qu’elle (se) passe en tant qu’elle ne passe vers rien d’autre, sinon dans une mort qui fait étrangement, douloureusement partie d’elle autant que la naissance, l’amour, le spectacle d’une Coupe du Monde ou le tournage d’un film. Ecrit Jean-Luc Nancy14
A la base de son scénario, on retrouve des jeunes héros entraînés par la pulsion du départ. Cette urgence qui les met en route, en danger aussi, renvoie assurément à une pensée qui se cherche, s’élabore au gré des rencontres et des obstacles. Les héros de KIAROSTAMI portent en eux l’espoir d’un changement; ils courent vers un avenir qu’ils veulent construire avec leurs propres interrogations, leurs propres doutes. Le cinéaste, fidèle à ses personnages, retrouve les lieux du tournage de « Où est la maison de mon ami? ». Le scénario de « Et la vie continue » est simple: un père et son fils partent à la recherche des deux jeunes héros du précédent film de KIAROSTAMI; en effet, le village situé au nord de l’Iran dont ils sont originaires a été ravagé par un tremblement de terre en 1990. Ils découvrent peu à peu qu’au milieu des décombres, la vie semble avoir été « épargnée ». Bien que le sort de milliers de personnes soit changé la vie, sous ses formes les plus diverses, reste inchangée. Malgré tout, c’est la vie qui continue, qui poursuit, imperturbable et farouche, sa course. La vie continue - La vie et rien d’autre.15
Après la célébration de la vie que chante “ Et la vie continue ”, KIAROSTAMI va encore plus loin: si la vie a réussi à s’imposer sur une terre rendue inhospitalière, elle demande néanmoins à être défendue, coûte que coûte. C’est ainsi qu’on assiste dans « Au travers les oliviers »(1992),à la naissance d’une idylle entre deux jeunes gens, comme si le monde venait de renaître et que l’histoire de l’humanité se remettait en marche.
Films « inachevés », « Et la vie continue » est « Au travers les oliviers » refusent de mettre un final sur la vie. Le cinéma de KIAROSTAMI insuffle l’espoir, laissant le soin aux spectateurs de continuer...16
En 1996, le cinéaste réalise « Le goût de la cerise » qu’on peut voir comme la version longue de « Récréation », son court métrage réalisé en 1972. Déjà, dans cette oeuvre de jeunesse, perçait l’intérêt du cinéaste pour la notion d’individu, aux dépens des valeurs en vogue, imposées par le collectivisme de l’époque. La caméra de KIAROSTAMI s’attardait sur le visage décidé d’un jeune garçon, nommé Mohamad, en révolte contre l’école, la famille et la société: déjà soucieuse de capter ce qui se trame derrière les apparences, la caméra de KIAROSTAMI avait choisi de filmer des personnages isolés, à une période charnière de leur vie, où ils se mettaient en question. Ainsi, le rapprochement entre « Récréation » et « Le Goût de la cerise » apparaît nettement : Mohamad et BADII sont parvenus à un moment de leur existence où il faut interroger la vie et prendre le risque de la “ séparation ”. Mais là où Mohamad était encore mû par une pulsion qui faisait de son départ une fuite, BADII, en frère plus mûr, guidé par une réflexion qui accueille (espère ?) la parole d’autrui, est parvenu à intérioriser son angoisse : en recherchant un homme susceptible de jeter quelques pelletées de terre sur son corps ,il inscrit la singularité de sa mort dans le tissu social : la problématique de l’autre entre dès lors dans la démarche du personnage de KIAROSTAMI. Le thème de la recherche parcourt toute l’œuvre de KIAROSTAMI. Mais ici, le caractère en apparence prosaïque de la recherche de BADII, soutient une démarche philosophique: l’obsession des pelletées de terre devant recouvrir le corps de BADII est la marque d’un rejet de la transcendance et d’un désir de s’enraciner dans l’immanence. La terre qui hante la pensée de BADII n’est chargée d’aucune divinité: c’est plutôt la terre-matrice qui embrasse les corps. Mère nourricière, garante de la continuité du cycle naturel, elle engendre de nouveau la vie.
“ Le goût de la cerise ” traite de la question du suicide mais se situe résolument dans le flux continu de la vie. C’est avant tout un voyage initiatique que mène le héros: monsieur BADII, homme d’une cinquantaine d’années, vit une crise existentielle. Au volant de sa Jeep, il s’avance sur une route chaotique qui hésite entre vie et mort, mort et vie.
Attiré invinciblement par le suicide, BADII tend un visage fermé à la caméra. Ses mots sont rares, ses expressions limitées. Assurément, sa décision est prise. Cependant, son choix du suicide s’inscrit encore dans la vie qui s’agite tout autour de lui: des enfants à l’horizon, semblant annoncer des lendemains meilleurs, des hommes travaillant sur le gigantesque chantier qu’est l’Iran ...
Terrassé par le fantasme obsédant de la mort, BADII doit attendre: il ne peut succomber à la mort sans avoir auparavant éprouver la vie; en se frayant un passage difficile dans un paysage qui tient à la fois de la ruine et du chantier, il rencontre au bout de la route la vie et la mort qui se confondent.
Car, sa volonté tenace de rechercher un témoin à sa propre « mise à mort », c’est-à-dire un homme de confiance prêt à jeter quelques pelletées de terre sur dépouille mortelle, prouve qu’il désire aussi faire connaissance avec celui qui va découvrir son corps et lui fermer les yeux, ainsi que le veut la coutume iranienne. Avec cela, BADII déplace l’enjeu de sa quête: ce n’est plus tout à fait la mort qu’il appelle, mais la vie qui accueille avec dignité la mort. A aucun moment, sa volonté suicidaire repousse l’humanité. BADII ne veut pas mourir sans avoir trouvé l’homme en qui il pourra déposer sa confiance. De plus, en refusant un enterrement organisé par les autorités municipales, le personnage nie aux institutions le pouvoir d’enrôler la mort.
Au volant de sa voiture, BADII n’en finit pas de chercher l’homme de confiance. Il accoste plusieurs personnes: un jeune homme, croyant avoir affaire à un homosexuel l’insulte; un soldat refuse catégoriquement sa proposition et fuit en courant vers la vie; puis un Afghan, étudiant en théologie (tâlâbeh), refusant de comprendre la demande de BADII, s’empresse de lui faire la morale. Insensible au prêche du religieux, BADII poursuit sa route. L’image qui accompagne son parcours prend le relais d’une parole qui ne vient pas. Le réalisateur signe ainsi le rejet définitif par son héros d’une interprétation réductrice de la vie.
Le voyage heurté et désespéré de BADII se poursuit au gré des tournants et du relief accidenté de la route. Les travellings avant ne lâchent pas le personnage, condamné à continuer. Au milieu d’un nuage de poussière, l’automobile évoque avec « une inquiétante étrangeté » le tourbillon des contraires, la résistance tentée par l’abandon, la vie séduite par la mort. Dans ce maelström où tourbillonnent les contraires, BADII ne peut plus échapper au questionnement de sa conscience. Enveloppé par l’air vif et coupant mais aussi par les relents toxiques de la ville, BADII semble aux prises d’un déchaînement de sensations contradictoires et simultanées. Il quitte la mégapole étouffée par les fumées et assourdie par le bruit des machines, par les litanies des “ il faut ” et “ il ne faut pas ” religieux. KIAROSTAMI fait tourner BADII autour de Téhéran, ville-chantier où seuls sont visibles des Afghans. Ces images font allusion à la reconstruction massive de l’Iran menée par des ouvriers venus d’Afghanistan et au chômage des Iraniens. D’autre part, la présence des soldats sur les collines nous rappelle que l’Iran vit en situation d’urgence même si la fin du film, nous laisse espérer un avenir meilleur.
Le voyage initiatique de BADII prend une nouvelle direction quand il rencontre Monsieur BAGHERI, employé au Musée d’Histoire Naturelle. En effet, le séminariste, le militaire et le jeune civil ont été impuissants à trouver la parole juste qu’attend résolument BADII. On peut y voir sans doute la démission(le barrage ?) d’une société qui se barricade derrière les conventions et les interdits et se refuse à reconnaître le doute et l’interrogation. Avec cette rencontre décisive, nous assistons à un jeu formidable entre une mort hésitante et une vie obstinée, car BAGHERI fait partie de ceux qui ont côtoyé la mort, ont acquis des expériences et en sont sortis aguerris. Les rôles s’inversent et bien que BADII conduise, c’est BAGHERI qui dirige le voyage. Contrairement aux rencontres précédentes, BAGHERI ne tente pas une conversion avec BADII, mais prend un chemin détourné pour le ramener à la vie : il évoque “ l’eau de source, la pleine lune, le ciel bleu, la lumière et le goût de la mûre ... ”.
Soudain, le film s’interrompt sur une allégorie tournée en images vidéo. A l’écran, KIAROSTAMI annonce : « Le film est fini, les soldats peuvent se reposer. » On entend les trompettes de SORUSH, l’ange de la Résurrection. Après les destructions de la Révolution, une nouvelle ère s’annonce peut-être... L’image de soldats assis fixant du regard la caméra et celle de BADII, vivant, laissent entrevoir une ouverture vers l’avenir. Les couleurs elles-mêmes jusqu’alors crépusculaires, se font chatoyantes.
Film « hors norme », selon l’expression de son réalisateur, « Le Goût de la cerise » entend battre en brèche les idées reçues et les préjugés confortables. Cela présente bien sûr un risque énorme. Mais fort de la conviction que la victoire se gagne sur les sentiers écartés, KIAROSTAMI a osé, à travers son dernier film, un pari sur la vie.
Pourquoi venons-nous au monde ? Devant, cette question sans réponse, KIAROSTAMI nous livre quelques pistes de réflexion. S’il loue la vie en montrant l’obscurité, c’est à dessein sans doute de rehausser la vie au contact de la mort. Tout se passe comme si la proximité de la mort obligeait la vie à se ressaisir. KIAROSTAMI nous renvoie l’image aveuglante de la mort et nous recevons dans les yeux la vie éblouissante. Devant la fatalité de la mort, c’est un choix qui se dessine à l’horizon. Ce n’est pas un hasard si le film devait à l’origine s’intituler « Voyage à l’aube ».Une nouvelle étape est franchie en forçant le quotidien à se confronter avec la mort le cinéaste rend ainsi à la vie sa vitalité et la transforme en choix volontaire. Sortie de son engourdissement, la vie se réveille au contact de la mort. Le film de KIAROSTAMI rend hommage à une liberté généreuse qui ne craint pas d’être reprise.
Que décide BADII au terme de sa route hasardeuse? Et, d’où vient-il? Quelle est son histoire? Question sans réponse. Le film de KIAROSTAMI ne prétend pas épuiser ce mystère de la vie: il le magnifie, au contraire. Visage fermé, BADII n’offre pas prise à la psychologie, ce qui permet à KIAROSTAMI d’alléger son personnage du poids des ancrages familiaux, sociaux, politiques, religieux ...Tout homme reconnaît alors en BADII son frère et voit dans son parcours obstiné sa propre trajectoire.17

ABC Africa (2001)
Kiarostami est un iranien mais sans doute il a su réaliser un des films les plus originaux sur l’Afrique. C’est la première fois qu’il tourne en dehors de son pays. Même si le projet de ce film tournait autour de catastrophe du sida en Afrique, de la destruction de la vie par cette maladie de la mort ! mais c’est une hymne à la vie. Une apologie de la vie et des vivants qui ont pris racine sur la terre enveloppant les morts du sida.
La caméra de Kiarostami n’est pas voyeuriste devant la mort. C’est avec un regard affectueux qu’elle cherche le rythme vif de la vie dans la terre généreuse des Noirs. Le cinéaste ne se cache pas la face devant la misère mais il ne déchire pas non plus le rideau de la pudeur. Le cinéaste, caméra à la main, avec délicatesse, caresse la belle nature, la peau douce, et les beaux yeux profonds des africains, sans pour autant les juger : « J’allais en Afrique pour faire un film sur la catastrophe, sur la mort, mais le temps que j’arrive la catastrophe, la mort, et la désolation avaient disparu, étaient cachés. Devant ma caméra il n’y avait que la vie ! la-bas une personne sur dix meurt, alors j’avais 9 vivants devant ma caméra. Mais si nous inversons le chiffre, c’est toujours la même chose : cela veut dire que même si par malheur il y avait 90% de morts j’aurais filmé les 10% vivants ! le sida pour les Africains est comme le tremblement de terre pour les Iraniens. En Iran certains veulent nous faire croire que le tremblement de terre est une volonté de Dieu, mais moi je pense que le sida dans certaines régions et surtout en Afrique a été programmé! […] »18 Sans distance à la façon kiarostamienne, le cinéaste a réussi à capter avec beaucoup d’intelligence l’extraordinaire rythme des Africains. Le film nous plonge dans un abyme de la vie, une sorte de l’intensification délibérément frénétique qui a pour finalité le dépassement de la mort. Cette finalité suppose que l’homme, sujet de son activité créatrice, s’inscrive dans un flux universel de métamorphoses’ qui sont autant d’intensifications du fini par l’infini…19 Ainsi ABC Africa est jalonné de références, d’allusions et de clins d’œils à tous ses films antérieurs, de Close-up au Goût de la cerise.
On est en Afrique : les coupures d’électricité sont fréquentes et Kiarostami est Kiarostami ! il peut se permettre d’imposer aux spectateurs sinon le temps réel au moins sept minutes d’obscurité remplis de sa voix et de celles de son équipe ! puis la lumière revient. On entend Kiarostami qui dit : « c’est difficile à supporter parce que c’est cinq minutes si c’était cinquante ans on s’habituerait ! » Puis la lumière apparaît avec une douceur, comme si kiarostami chérissait un espoir pour l’avenir de l’Afrique. Peter Scarlet
dit : Kiarostami se réveille chaque matin pour redécouvrir le monde, ABC AFRICA est un jour africain de Kiarostami.

CONCLUSION
A la vision des films post-révolutionnaires, il apparaît que les cinéastes se révèlent plus attentifs à la nature humaine et du même coup se montrent plus confiants en une solution à apporter aux problèmes de la société iranienne. Mais cette solution n’est plus seulement politique, comme le préconisaient la plupart des cinéastes pré-révolutionnaires, mais avant tout culturelle. Et cette vision humaniste, renouant avec une tradition poétique multiséculaire propre à la société iranienne, pourrait bien être le fruit d’un renforcement des contraintes politico-religieuses imposées par le régime après la Révolution.
On peut citer parmi ces films protestataires et militants tels « Gueissar » ou « les Cerfs » de KIMIAI qui affirment une vision manichéenne du monde (Noir et Blanc; Dieu et Satan), engagent résolument à reverser le Shah, « Les Mongols » de KIMIAVI, « Le Cercle » de MEHRJOUÏ. Tous se situaient dans une optique de critique politique dure et directe et s’opposaient déjà -bien que passant inaperçus dans la société de l’époque- à des films comme « La nuit du Bossu » (1964), de GHAFFARY, « La brique et le miroir » (1965)de GHOLESTAN, « Siavaush à Persépolis » (1967) de RAHNAMA ou encore à ceux de SALESS. Ils s’opposent aujourd’hui à des films humanistes et généreux comme « Bashu, le petit étranger » de Beyzaï, « Où est la maison de mon ami? », ABC Africa de Kiarostami, « Le Camelot », « Nasseradin shah, acteur de cinéma », de Makhmalbaf, « Le foulard bleu » et « Sous la peau de la Ville » de la cinéaste Rakhshan Banieetemad, « Deux Femmes », « Moitié cachée » de la cinéaste Tahminéh Milani pour ne citer qu’eux.
Il est important de signaler le courage et l’efficacité des femmes iraniennes dans tous les domaines et notamment celui du cinéma. Mme Banieetemad dans son dernier film « Sous la peau de la Ville » critique les fruits amers de la Révolution: la pauvreté, la prostitution… . Mme Tahminéh Milani à son tour dans son dernier film « Moitié cachée » à travers le porterait d’une femme « révise » la Révolution. La cinéaste traite les erreurs, les hypocrisies et les exactions des révolutionnaires, gauchistes et religieux confondus. Bien que certaines scènes manquent de crédibilité la cinéaste avec un courage inouï va très loin dans sa critique à l’égard du fondement même de la croyance révolutionnaire. Même si elle est libre sous caution aujourd’hui la cinéaste a payé son film de quelques jours de prison. Elle a été libérée grâce à l’intervention directe du Président Khatami.
Mais revenons un instant à Un temps pour l’ivresse des chevaux, le film de Bahman Ghobadi. Nous avons dit que ce film est une nouvelle pierre dans l’édifice du cinéma iranien. Pourquoi cette nouveauté? Ici nous avons des enfants ; des garçons et des filles. Nous avons des adultes. Nous avons aussi des obstacles. Mais notons que les obstacles qui, tout au long du récit, entravent l’évolution des enfants de Un temps pour l’ivresse des chevaux sont bien différents de ceux que rencontrent les enfants de Où est la maison de mon ami?. Ahmad, dans le film de Kiarostami, faisait face à ses parents et à ses grand-parents; il cachait le cahier destiné à son éducation sous sa chemise de peur d’être surpris par sa famille.
Avec Bahman Ghobadi c’est à un autre niveau que se joue l’enjeu scolaire: les enfants sont montrés cachés à l’intérieur d’une camionnette, dans un paysage enneigé, inouï de beauté, puis on arrête la camionnette, on fait descendre les enfants, on leur donne l’ordre de se mettre en rang, comme s’ils étaient des soldats ou des trafiquants ou encore des voleurs. En fait, il est vrai que ce sont des trafiquants (et mixtes, filles et garçons mélangés) car chacun cache quelques cahiers sous sa chemise. Quel gag amer ! le cahier des écoliers est un support de savoir, il a été trafiqué par les écoliers eux mêmes (ou leurs potentiels utilisateurs) qui sont arrêtés maintenant par le service de l’ordre frontalier ! Et le personnage principal-si il y en a un- Madi malade, malingre, martyrisé, conscient, intelligent, pudique, adolescent est présenté comme étant le Témoin et le représentant de la détresse d’une famille, d’un village, et au-delà celle aussi - relative - du genre humain, mais aussi du genre animal, on peut lire cette co - destination, cette compassion dans la scène où Madi essaie de donner de la nourriture au mulet blessé qu’il caresse.
Ainsi, jaillit une question: pourquoi le cinéma iranien a t-il acquis la place et l’importance qu’on lui connaît aujourd’hui dans le monde? C’est justement parce que ce cinéma n’a pas la prétention d’être mondial, il ne possède pas cette grandiloquence hollywoodienne.
Un espoir : le motif du cahier comme support de savoir est récurrent dans les films iraniens. On le trouve déjà dans le cinéma d’avant la Révolution, par exemple dans des films comme La maison est noire de la cinéaste Forough Farokhzad (1962), L’Averse de Beyzai (1972) ou Un simple Evénement de Sales (1973)...puis dans le cinéma post-révolutionnaire: Le Coureur de Naderi (1985), Les Classes primaires (1985) où est la Maison de mon Ami? (1986) Devoirs du Soir (1989) de Kiarostami, La Jarre de Forouzesh (1991) et Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf (2000). Tous ces films témoignent d’une prise de conscience des cinéastes iraniens quant aux maux de la société et à la nécessité du progrès pour s’en sortir. Ils s’inscrivent dans une procédure de participation à une auto-thérapie collective de la société iranienne, commencée il y a quelques décennies déjà. une auto-thérapie qui parcourt la société iranienne avec toute ses diversités régionales, linguistiques ,ethniques, et même religieuses. Il suffit de regarder des films comme l’eau, le vent, la terre de Nadreri, Badouk de Majidi, Le Jarre de Forouzesh Où est la maison de mon ami et Le Vent nous emportera de Kiarostami Bashu le Petit Etranger de Beyzaï, Le Tableau noir de Mahkmalbaf, et aujourd’hui Un Temps pour l’ivresse des chevaux de Ghobadi pour ne citer qu’eux pour comprendre cette diversité, et reconnaître cette auto-thérapie latente. 20


Dans cette optique, Madi, le personnage de Un temps pour l’ivresse des chevaux, apparaît comme la métaphore de cette prise de conscience, véritable point d’interrogation rendu bien visible à l’instar de son blouson jaune qui le distingue du reste sur un fond d’hiver terreux et maussade. Cependant ce premier long métrage, et sans doute parce que réalisé par le premier cinéaste kurde iranien, fait preuve d’une personnalité forte, car il évite le piège de l’ imitation des modèles cinématographiques en vigueur en Iran.
D’emblée ce film nous plonge dans une situation d’urgence: les actions s’enchaînent de façon à ce que les passagers du film soient « anéantis », à l’image, en quelque sorte, des flammes de bougies exposées au vent glacial.
C’est à l’occasion d’un festival de court métrage au forum des images (juin 2001) que les spectateurs français ont pu assister à l’émergence d’une jeune génération de cinéastes iraniens. Je ne peux résister à l’envie de citer au moins une des œuvres qui ont été remarquée : Les Mains en marbre de Mohsen Amir Youssefi, est beau poème. Le personnage principal, un vieil homme se déplace en vélo d’une morgue à l’autre, dans la région d’Ispahan. Son travail consiste à laver les morts. C’est avec amour qu’il apprivoise la morts de ceux auxquels il consacre les dernier soins. La mort entre ainsi dans une autre dimension : elle devient un terme bienheureux couronné par les soins affectueux de cet homme, véritable thaumaturge…

Ces films, sans être dénués de contenu politique direct, sont tournés vers la vie, vers l’homme aussi. Ainsi , le cinéma iranien actuel apparaît-il comme l’interprète et le « guide » d’un peuple qui ne veut plus désormais se laisser enfermer dans les dogmes ou les mots d’ordre d’un dictateur. Ces films sont tous convaincus de la nécessité d’aider à l’éclosion d’une pensée libérale et témoignent de l’évolution cinématographique depuis la période pré-révolutionnaire jusqu’à la période post-révolutionnaire.
Entre ces deux périodes, une différence est apparue : avant la Révolution, le cinéma engagé recherchait un bouleversement, un changement radical de la société permettant, en corollaire, la transformation des individus. Pour le cinéma pré-révolutionnaire, il fallait donc prôner un renversement du régime en place. Bien au contraire, ce cinéma post-révolutionnaire, influencé par les structures économiques, sociales et politiques au sein desquelles il évolue, est parvenu à une vision incertaine à l’égard de ses valeurs anciennes, et que pour créer une société libre, il fallait d’abord des hommes indépendants. C’est une découverte précieuse pour le cinéma et par le cinéma. Le cinéma – sa toile, sa membrane sensible – est tendu et suspendu entre un monde où la représentation se chargeait des signes d’une vérité, de l’annonce d’un sens ou des gages d’une présence à venir, et un autre monde qui s’ouvre sur sa propre présence par un évidemment où réalise son évidence pensive.21
Après l’expérience révolutionnaire, le cinéma iranien semble se donner une plus grande responsabilité culturelle: aider et conduire le peuple iranien à une ouverture sur l’art, sur la nature et sur le progrès.

* Omar Khayyam Néyshapouri, mathématicien, philosophe et poète iranien 1050-1123 (traduction H. K.)
1 Ce film a heurté la sensibilité des censeurs de l’époque; il a été censuré à tel point que son auteur l’a répudié! Voir « Le cinéma iranien, l’image d’une société en bouillonnement: de La vache au goût de la cerise » interview de l’auteur avec Farrokh Ghaffary Edition Karthala 1999
2 Interview donnée par Sohrab Shahid SALESS à Ali DEHBASHI, rédacteur en chef de la revue Kelk n° 40 et aujourd’hui de la revue Bukhara.
3 Interview donnée par S. S. SALESS à l’auteur (juin 1994)
4 Ibid SALESS-DEHBASHI
5 Interview donnée par S. S. SALESS à l’auteur (juin 1994)
6 Ibid. Interview avec Ali Dehbashi.
7 Tabiâté bijan, le titre iranien du film veut dire: « Nature sans vie » qui a une autre charge philosophique que “Nature morte », titre retenu par les traducteurs
8 Interview donnée par S. S. SALESS à l’auteur (juin 1994)
9 voir « Les pas de l’eau » page 44 de Sohrab Sepehri traduit du persan par Daryush Shayegan (Orphée. La Différence. Paris 1991)
10 pour mieux connaître ces films le lecteur peut consulter le livre de l’auteur: Le cinéma iranien L’image d’une société en bouillonnement... les éditions Karthala 1999 Paris.
11 Youssef Ishaghpour : Le réel Face et Pile, Le cinéma d’Abbas Kiarostami ;P. 69 Forrago 2001
12 Voir interview de l’auteur avec Abbas KIAROSTAMI « Le cinéma iranien, l’image d’une société en bouillonnement: de la Vache au Goût de la cerise » Edition Karthala 1999 Paris
13 Ibid
14 L’Évidence du Film Jean-Luc Nancy p. 19 chez Yves Gevaert Éditeur 2001

15 Littéralement, le titre est “ La vie et rien d’autre ”(Zéndéghi va digar hitch). Mais B. Tavernier l’ayant déjà choisi pour l’une de ses oeuvres, les distributeurs français lui préférèrent “ Et la vie continue ”. En outre, le titre initial risquait de heurter les sensibilités religieuses en Iran, car ce titre mettra en question le au-delà.
16 (2)Le cinéaste, en guise d’ultime et généreuse morale, nous avertit : « La « fin » n’apparaît pas à l’issue du film car je laisse au spectateur toute liberté à son imagination de poursuivre l’histoire... » Interview avec KIAROSTAMI, Téhéran 1997.
17 Primé au festival de Cannes (1997), le film a reçu la Palme d’Or. En novembre 1997, la première médaille de Federico FELLINI lui a été décernée par Federico MAYOR, Directeur Général de l’UNESCO.

18 )propos recueillis par l’auteur
19 du philosophe iranien Mollâ Sadrâ. Voir : Se rendre immortel: Mollâ Sadrâ Shîrazî : Christian Jambet, 2000, Fata Morgana

20 pour mieux comprendre la notion d’auto-thérapie collective voir le livre de l’auteur: Le cinéma iranien L’image d’une société en bouillonnement... les éditions Karthala 1999 Paris
21 Ibid L’Évidence du film P. 57 Jean-Luc Nancy

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