Courrier International
22/01/2004, Numéro 690
En empêchant les réformateurs de se présenter aux élections, le clan conservateur veut accaparer tout le pouvoir. Et les Américains, empêtrés en Irak, n'y pourront rien changer. L'analyse du quotidien réformateur Shargh.
SHARGH
Téhéran
Il semble peu probable que la réaction des candidats réformateurs exclus de la prochaine élection législative par le Conseil des gardiens de la Constitution [sorte de Conseil constitutionnel dominé par les conservateurs] soit en mesure d'entamer la détermination des conservateurs. En effet, la stratégie de ces derniers est claire : il s'agit ni plus ni moins de réinvestir toutes les sphères du pouvoir, c'est-à-dire reconquérir le Parlement [Majlis] et remporter ensuite la présidence de la République, ainsi que toutes les institutions relevant de l'exécutif. Les conservateurs sont décidés à en finir avec la dualité du pouvoir qui prévaut en Iran depuis l'élection de Khatami, en mai 1997. Dans ce contexte, le refus de candidatures liées au mouvement réformateur n'est que la première étape ; ils vont ensuite coopter pour ces élections législatives une série de personnalités qui, a priori, ne sont pas spécialement liées à la tendance conservatrice. Malgré cela, il n'est pas certain que les conservateurs soient en mesure d'obtenir la majorité au Majlis. Il leur suffira alors d'éliminer quelques ténors du courant réformateur pour avoir ensuite les coudées franches. Et, même s'ils ne sont pas majoritaires, les conservateurs auront réussi à transformer le Parlement en une institution affaiblie qui ne pèse plus réellement sur le plan politique. Ils pourront alors envisager avec sérénité l'enjeu de l'élection présidentielle, qui n'aura lieu qu'un an après les élections législatives.
Peut-on pour autant penser que les conservateurs vont réussir dans cette entreprise de conquête du pouvoir ? Il est en tout cas certain que, davantage que quiconque, ils ont eu le temps de bien peser toutes les difficultés que leur promettait une pareille ambition politique sur le plan intérieur et extérieur, et qu'ils ont dès lors pu s'y préparer. Sur le plan extérieur, l'obstacle principal à ce scénario sera la pression exercée par l'Occident, et en particulier par les Etats-Unis et l'Europe. Il ne fait ainsi aucun doute que les gouvernements occidentaux, tout comme les organisations de défense des droits de l'homme, vont protester, mais le courant conservateur peut tabler sur un contexte permettant de minimiser cette pression, à savoir les difficultés auxquelles les Américains sont en butte en Irak.
Les conservateurs ont ainsi bien compris que les Etats-Unis sont davantage préoccupés par les pertes qu'ils subissent au quotidien en Irak et par l'avenir de ce pays que par la situation des droits de l'homme en Iran et par le refus de candidatures électorales de quelques réformateurs iraniens. Ce qui intéresse surtout les Américains, c'est de pouvoir mettre la main sur des suspects liés à Al Qaida qui se trouvent actuellement en Iran. Quant aux Européens, ils sont plutôt préoccupés par le développement du programme nucléaire iranien. Or les Européens - tout comme les Américains, d'ailleurs - savent très bien que la clé d'une collaboration sérieuse entre l'Iran et la communauté internationale dans le domaine nucléaire est à chercher du côté des conservateurs, qui contrôlent ce programme. D'une manière générale, les Occidentaux, même s'ils réprouvent leurs méthodes, ont bien compris que les conservateurs sont ceux qui détiennent le pouvoir réel et qu'il convient donc, malgré tout, de traiter avec eux.
Sur le plan intérieur, les conservateurs risquent d'être confrontés à l'opposition des partis politiques et d'autres groupes sociaux. Il est à ce stade très difficile d'évaluer l'ampleur que pourrait prendre cette résistance, qui est inévitable. Face aux protestations, les conservateurs auront ainsi tout le loisir de faire quelque peu machine arrière et de réévaluer éventuellement en faveur des réformateurs un certain nombre de refus de candidatures électorales. Les conservateurs pourraient en outre être confrontés à une très faible participation électorale lors du prochain scrutin législatif. Ils vont donc redoubler d'efforts pour que la participation ne soit pas trop faible et, dans ce contexte, certains éléments jouent incontestablement en leur faveur. Car si, à Téhéran et dans les grandes villes, les électeurs potentiels réagissent essentiellement en fonction de critères politiques, il n'en va pas de même dans les petites villes de province et dans les zones rurales, où les gens votent davantage pour des raisons familiales, ethniques, communautaires ou de rivalité locale que par motivation politique. Dès lors, en mettant en avant des personnalités très appréciées localement et qui ne leur sont pas trop apparentées, les conservateurs entendent encourager ces populations à aller voter. Et ils peuvent raisonnablement espérer que le taux de participation oscille entre 60 et 70 %.