Courrier International
05/02/2004, Numéro 692
La crise politique iranienne n'intéresse pas les jeunes de Téhéran, révèle un sondage effectué par Gooya News. Et les réformateurs de gauche semblent aujourd'hui faire partie de l'Histoire.
Gooya News,
Un sondage vient d'être réalisé auprès d'un petit groupe de jeunes Iraniens âgés de 17 à 24 ans et vivant dans cinq secteurs du Grand Téhéran. Il leur a été demandé ce qu'ils pensaient de l'action de protestation menée par les députés réformateurs du Madjlis [le Parlement], dont les candidatures pour les prochaines élections législatives ont été invalidées par le Conseil des gardiens de la Constitution. Une majorité importante a répondu que cet "événement" ne les intéressait pas. Quant à leurs sentiments vis-à-vis du refus de ces candidatures, une majorité s'en déclarait "heureuse", alors que pour les autres cela "n'a pas d'importance". Plus de 50 % des jeunes sondés estiment que les candidats qui mènent ce mouvement de fronde perdront des voix et que, de toute façon, leur popularité est en baisse. Quant à savoir quelle devrait être l'attitude du président Khatami, une forte majorité se dégage pour affirmer qu' "il n'a, pour nous, fondamentalement aucune importance". Par ailleurs, la plupart de ces jeunes affirment qu'ils ne participeront pas à ces élections.
Bien que l'échantillon de ce sondage soit assez limité, il permet tout de même de tirer certains enseignements quant à la façon dont les jeunes Iraniens qui habitent dans les grandes villes appréhendent la réalité politique de leur pays. On constate ainsi tout d'abord que les jeunes se sont complètement détournés de Mohammad Khatami et de ses amis politiques. En effet, le destin du président de la République islamique et des formations politiques qui le protègent n'a plus pour eux la moindre importance.
Cette indifférence est arrivée à un tel point que les jeunes Iraniens en viennent même à se réjouir que les candidats réformateurs se voient désormais interdire de campagne électorale par la droite conservatrice ; et, quand cela ne les réjouit pas, cela ne les dérange pas non plus. Dans ce contexte, le régime semble être incapable de mobiliser politiquement les masses, en tout cas dans les grandes villes, et de les pousser à participer aux élections législatives du 20 février prochain. Même en imaginant que toutes les candidatures soient finalement avalisées, rien ne semble pouvoir empêcher que le scénario de l'élection des conseils municipaux (remportée par les conservateurs) ne se reproduise, mais à une échelle encore plus importante cette fois. Il faut donc bien constater que le sit-in de protestation organisé au Madjlis par les candidats réformateurs n'a pas eu de véritable écho dans l'opinion publique qui, au pire, l'a perçu comme une manoeuvre politique censée susciter un regain d'intérêt pour le processus électoral. L'influence des télévisions satellites émettant en persan depuis l'étranger - malgré leur manque patent de professionnalisme - est, elle, de plus en plus évidente. Quant aux personnalités issues de la droite modérée, elles semblent pouvoir aborder le scrutin législatif avec de meilleures chances de succès que des personnalités comme Mohtashami, l'un des fondateurs du courant de la gauche islamique.
La gauche réformatrice, qui n'est donc plus en mesure aujourd'hui de représenter les aspirations du peuple et du mouvement étudiant et qui a aussi perdu la main en termes de soutien international, semble condamnée. Khatami et sa coalition de la gauche réformatrice, qui a incontestablement marqué la politique moderne de l'Iran, fait donc maintenant partie de l'Histoire.